Un autre cas est celui de créatures désincarnées qui figurent des expressions du mal, sans que l’on connaisse toujours bien clairement leurs motivations.
- Dans
Spectre n° 1, Spectre affronte ainsi un esprit du mal, Azmodus, puis son maître, "Shathan l’éternel", incarnation du mal, qui règne sur le monde de l’antimatière et souhaite étendre son empire sur le monde de la matière en y déclenchant la "méchanceté universelle" (p. 125, 128).
Mais quel bénéfice un être tout-puissant peut-il bien tirer de faire triompher le mal ?
Le scénariste de cet épisode de Spectre suggère une explication saugrenue en évoquant un supposé lien entre mal et antimatière, s’opposant respectivement au bien et à la matière (p. 127, 128).
En clair, l’entité Shathan n’est que l’instrument de sa nature…
- Cas de
Wampus. Créé par l'éditeur Marcel Navarro, le scénariste Franco Frescura et le dessinateur Luciano Bernasconi,
Wampus (6 numéros de mars à août 1969, puis réédition et 7ème épisode dans
Ombrax) est un curieux météore traversant le ciel de la respectueuse maison d’édition
Lug, cas unique contrastant avec les publications antérieures de cette société d'édition, telles
Kiwi, Pipo, Rodéo, Yuma ou
Zembla, et avec les publications de super-héros ultérieures, telles
Fantask, Marvel, Strange, Titan ou
Nova.
"Wampus, être maléfique venu d'une lointaine galaxie, a pour mission de détruire la civilisation humaine" annonce le préambule du deuxième épisode (
Wampus n° 2 p. 3).
Ce personnage au physique déconcertant est animé d’une véritable rage qui le pousse à exterminer le plus grand nombre d’humains. Il se dit "l’ennemi juré de la Terre et de ses habitants" (n° 1 p.44). "Parce que le mal en soi-même, de par lui-même, est mon unique but" (n° 5 p. 49).
Wampus n'obéit à aucun intérêt personnel particulier. Il est l'instrument d'une entité, le Grand Mental, "figure géométrique immatérielle" projetée depuis une étoile qui le commande et le dirige (première apparition : n° 2 p. 38). Wampus exerce alors, sous ce contrôle, le mal d'une façon que l'on pourrait qualifier de « désintéressée », comme un devoir, mais toutefois avec passion et même exaltation. "Hommes ! Ce n’est que le commencement de la fin ! Wampus porte en lui le message de l’esprit des ténèbres, car les horreurs de l’apocalypse vont s’abattre sur vos têtes chétives" (n° 1 p. 51). Nous n’avons pas affaire à un simple fonctionnaire remplissant seulement avec application professionnelle son office.
En revanche, nous ne savons rien de plus des avantages que Le Grand Mental est censé tirer des exactions de son émissaire.
L’émissaire Wampus lui-même aime faire le mal, mais son dieu, le Grand Mental, supposé apprécier lui aussi puisque Wampus en est l'instrument, ne le manifeste pas, contrairement à Shathan (
Spectre n° 1).
Les deux cas sont par conséquent différents : dans
Spectre, c’est l’entité de nature divine Shathan et son envoyé Azmodus qui se veulent faire le mal ; dans
Wampus, c’est l’adorateur du dieu qui se veut malfaisant, sans qu’on n’en sache plus sur les goûts du dieu lui-même en la matière.
Car la question se pose là aussi :
Mais quel bénéfice un être tout-puissant peut-il tirer de ce qu’un adorateur fasse le mal en son nom ?
Remarquons que le scénariste paraît s’être lui-même emmêlé les pinceaux. Car Wampus se permet ensuite de juger l’humanité : "Il y a tant de mal, tant de férocité à New-York que mon œuvre pourrait paraître inutile (n° 3 p. 15). "Les milliers de ruisselets au milieu desquels se perd la méchanceté humaine formeront un fleuve unique, profond et impétueux, un déluge qui balaiera les ultimes et vacillantes velléités du bien, recouvrant de fange les ambitions et la civilisation même de l’homme" (n° 3 p. 16).
Ce qui donne dans le dernier épisode : "Enfin je te reconnais, humanité ! Enfin, je sais pourquoi tu dois être détruite !" (
Ombrax n° 231 p. 124). Ce qui entre plus ou moins en contradiction avec la déclaration précédemment citée : "Parce que le mal en soi-même, de par lui-même, est mon unique but" (n° 5 p. 49).
Franco Frescura semble avoir fini par ne plus tout à fait se retrouver dans cette problématique du mal qu’il a invoquée. Est-ce volontairement qu’il a vraiment choisi de transformer un envoyé d’une expression du mal cherchant à répandre le mal pour en faire plus loin une sorte de justicier voulant éradiquer le mal ???
(Notons que, dans certains comptes-rendus, il est écrit que Wampus est sur Terre pour préparer une invasion. C’est tout à fait inexact. Ainsi :
http://deedoolife.blogspot.fr/2011/09/a ... ampus.html )
- Trois ans après l’interdiction de
Wampus, les mêmes auteurs ont publié dans
Futura une sorte de version édulcorée,
L’autre (8 épisodes du n° 11 de juin 1973 au n° 18 de janvier 1974). Cette fois, le personnage continue certes à répandre des exactions, mais il s’agit en fait de la condition lui permettant de voyager dans les univers parallèles. Profit, donc.
Dans un épisode de
Martin Mystère, "La sphère de cristal " (
Ombrax n° 238 à 240), un personnage, à l'aide de pouvoirs psychiques extra-humains, brûle des enfants, fait s'écraser des cabines d'ascenseurs ou des avions. Il a toutefois l'excuse d'être devenu fou en quittant sa dimension pour la nôtre, n'ayant pas supporté de devoir endosser au passage une enveloppe charnelle. Il redevient « normal », et inoffensif, en retrouvant son univers d'origine. Cas de folie meurtrière extra-dimensionnelle…