D'autres récits méritent l'attention.
Ainsi « Comme un papillon » (
Horror n° 1) de Pier Carpi et Sergio Zaniboni.
Le décor de ce récit est celui d'un cimetière. Une femme, couturière, récemment veuve, vit désormais ses jours près de la tombe où son époux est inhumé. C'est là qu'elle prend le thé, reçoit ses clientes. Elle encourage de la voix son jardinier qui, armé d'une faux, coupe des mains qui surgissent sans fin de terre. Des accès de tristesse la poussent parfois à enlacer l'ange de pierre aux ailes déployées qui orne le tombeau de son mari.
Le climat singulier de ce récit s'appuie dans un premier temps sur son décor unique de cimetière aux formes figées.
Les tombeaux et les croix dessinent une structure de traits rectilignes, à laquelle s'ajoutent les lignes tourmentées de branches d'arbres dépouillés.
S'y opposent, seules formes vives, les ondoiements curvilignes des cheveux et plus encore des longues franges de la robe du personnage féminin. Le dessinateur a ombré l'ensemble, robe, pierre et parfois ciel, de fines hachures et quelques à-plats d'encre.
Mais c'est le décalage des dialogues qui crée singulièrement l'étrangeté.
Ainsi, ce n'est pas de ces mains surgissant régulièrement de terre que le personnage se plaint.
Nouvellement blessée par son deuil, la couturière éprouve principalement le sentiment que chacun profite de son statut de veuve pour la duper.
"- Tout le monde se moque de moi" affirme-t-elle, "parce que je suis seule depuis la mort de mon mari".
Naît ainsi une dispute avec une jeune cliente qu'elle juge trop exigeante. "- C'est parce que je suis une pauvre veuve sans défense que tu en profites" reprend-elle. "- Les clientes haussent le ton maintenant ?"
Elle poignarde donc la jeune fille : "- Ça t'apprendra à venir critiquer le travail d'une pauvre couturière, seulement parce qu'elle a le tort d'être veuve". Elle offre ce jeune corps à son neveu également enterré dans le cimetière, les enfermant dans le même cercueil.
Elle accuse de la même manière le jardinier de ne plus travailler aussi bien qu'auparavant. Il est vrai que l'homme, malgré tous ses efforts, parvient difficilement à faire face à toutes les mains qui s'élèvent du sol.
"- Toi aussi tu en profites. Tu négliges mon jardin de pauvre veuve" dit-elle la main sur les yeux. "- Tu te moques de moi. Comme mon mari n'est plus là, tu penses qu'avec cette pauvre veuve tu n'as plus besoin de te fatiguer" lui reproche-t-elle encore.
"- Je suis vieux et je ne peux plus travailler comme autrefois. Ce n'est pas de la négligence, Madame" tente-t-il de se disculper. La couturière l'oblige à creuser sa tombe puis, s'emparant de la faux, elle le décapite.
"- Madame, vous êtes sûre d'avoir bien réfléchi ? Je peux encore vous être utile" plaide-t-il humblement avant le coup fatal. La veuve prend sa faux pour faucher les mains.
La raison de la couturière vacille, elle le sent bien.
"- Depuis la mort de mon mari, mon jardin est devenu un cimetière où croissent des mains à la place de l'herbe et je me sens poussée à des actes cruels et macabres" explique-t-elle à un prêtre, espérant son réconfort.
"- Ce ne sont pas des hallucinations, les mains existent, j'ai tué le jardinier et ma petite cliente."
Le prêtre prend pitié d'elle. Il demande à sa jeune nièce, amatrice de chauves-souris, de dissimuler un poignard "sous le bras de l'ange". Quand une nouvelle fois la couturière embrasse l'ange de pierre, la lame cachée fait son œuvre, la libérant de sa vie et son veuvage.
"- Elle avait quelque chose d'étrange, d'anormal qui ne me plaisait pas du tout" commente le prêtre.
Comme le travail doit être fait, c'est alors le prêtre qui saisit la faux pour couper les mains.
* « Comme un papillon » de Pier Carpi et Sergio Zaniboni –
Horror n° 1 (1er trimestre 1972) – « Come una farfalla » -
Horror italien n° 6