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La conclusion a retenu plus particulièrement mon attention:
La chute des petits formats, qui s’accélère dans la deuxième moitié des années 1970, aboutit dès les années 1980 à la cessation d’activité de la totalité des éditeurs présents sur ce créneau (S.F.P.I., Remparts, Jeunesse et Vacances, Sagédition, Aventures et Voyages, Lug), hormis Aredit qui survit mais uniquement en produisant des romans. Semic parvient à maintenir jusqu’à fin 2003 une demi-douzaine de titres créés par Lug, tandis que Mon Journal Productions relance Akim et Capt’ain Swing ! plus quelques autres titres éphémères.
Outre l’absence de renouvellement du contenu, cette disparition massive et somme toute rapide est également causée par l’assèchement des sources. Si le comic book se maintient aux USA, la production anglaise, qui fournit notamment la plus grosse partie des récits de guerre, se tarit. Quant à l’Italie, sa production baisse également, outre le fait qu’elle tente de se positionner sur une bande dessinée plus haut-de-gamme, façon Pilote et Métal hurlant. Il ne reste bientôt plus, en matière de bande dessinée « populaire », que les titres Bonelli comme Tex Willer ou Dylan Dog. Or, cette diminution de l’offre n’est pas compensée : cela fait déjà un moment que les éditeurs français ont cessé de remplir une partie de leurs publication avec du matériel inédit. Économiquement, le modèle n’est plus viable et il n’existe plus de dessinateurs, en particulier français, ayant l’envie, et peut-être les capacités, d’alimenter un système aussi productiviste.
Les raisons ne manquent pas pour expliquer la disparition du petit format. À celles déjà mentionnées s’en ajoutent deux autres, générales mais déterminantes, et intimement liées.
La première concerne les circuits de vente. Le lecteur, surtout jeune, a depuis longtemps perdu le chemin des marchand de journaux. S’ajoute, accessoirement, la presque disparition d’un circuit secondaire, celui des bouquinistes qui vendaient jadis ces publications déjà peu onéreuses à moitié prix sur tous les marchés de France.
La seconde concerne le public de bande dessinée qui était socialement assez diversifié, avec une importante composante populaire qui a fortement diminuée aujourd’hui. Du reste, l’opposition entre une presse à bas coût destinée à un large public et une édition à coût plus élevé pour un public plus restreint n’a jamais été aussi éclatante qu’aujourd’hui : il suffit de comparer les écarts de prix des productions Disney et de super-héros vendues chez les marchands de journaux avec celles proposées en librairie par Glénat ou Urban Comics.
Malgré ces nombreuses explications, le contraste reste saisissant entre la disparition des petits formats et le considérable succès de ces autres produits en noir et blanc, de petite taille et à coût relativement modeste que sont les mangas.
Le petit format a été à la bande dessinée ce que la télévision d’avant les écrans larges a été au cinéma. Soit un canal de diffusion dévalorisé, pas toujours respectueux de l’intégrité des productions qu’il a adaptées, adepte d’un certain formatage dans ses productions propres. Il aura pourtant accouché de quelques trésors que les supports plus légitimés étaient bien incapables de susciter. Sa disparition aura du même coup entraîné la mort de personnages parfois célèbres qui ont captivé un lectorat important durant plusieurs décennies. Et ce ne sont pas les quelques albums épars, publiés pourtant par un nombre considérable d’éditeurs (dont Hachette, Glénat, Soleil, Delcourt, Clair de Lune, Vertige Graphic, Mosquito, Cornélius et le très spécialisé mais peu visible Rivière Blanche), qui suffiront à en assurer la postérité.
Évariste Blanchet