Jean-Louis a écrit :Non.
Je ne vois pas de rapport entre des monstres, et des humains (pour la plupart) dotés de super-pouvoirs.
L'approche est totalement différente.
Dans un cas, nous avons des humains qui font face à la menace d'un monstre.
Dans l'autre cas, nous avons des humains dotés d'un ou plusieurs super-pouvoirs innés ou acquis, et qui se battent continuellement contre leurs semblables (pour simplifier).
La seule chose qui est commune, c'est que c'est l'exploitation d'un univers fantastique, bien propre à faire rêver des ados...
Lesquels peuvent s'identifier aux super-héros, mais pas aux monstres initiaux.
Je suis tout à fait d'accord avec Jean-Louis. Les Marvel Monsters et les super-héros Marvel ne procèdent pas de la même démarche. Les monstres créent la panique générale, et c'est à l'humanité de faire face pour vaincre la menace qu'ils représentent.
Les super-héros Marvel en revanche jouent sur le registre de l'identification du lecteur avec le héros et bien davantage sur le côté humain et plus intime.
Pour resituer les choses dans leur contexte, voici ce que j'écrivais dans
Steve Ditko, l'artiste au masques :
Tristan Lapoussière a écrit :
En 1957, l’empire Marvel est à l’agonie, pris dans le phénomène que les historiens ont baptisé « l’implosion Atlas », au terme de laquelle l’éditeur passe d’environ 80 titres à seulement une poignée. La phase la plus aigüe de cette crise signala ainsi la fin de 55 titres pour les seuls mois de juillet à septembre 1957, dans tous les genres (fantastique, guerre, western, romance). La raison principale en fut l’abandon par Marvel de sa propre messagerie1 durant l’été 1956 pour signer un contrat de cinq ans avec le diffuseur national American News Company, sans savoir que ce dernier faisait l’objet d’une enquête sur ses liens avec la maffia. En mai 1957, A.N.C. doit cesser ses activités, entraînant dans sa chute les éditeurs dont elle assurait la diffusion. Depuis la création du Comics Code en octobre 1954, qui avait évincé de nombreux petits éditeurs, Atlas était parvenu à prendre une part considérable du marché. Dans le seul genre fantastique, l’éditeur publiait jusqu’à seize titres différents, tout en continuant à développer ses autres genres. La chute d’A.N.C. fut pour Atlas un désastre sans précédent dont les effets se firent sentir jusqu'à la fin de l'année 1958. Après l'été 1957, ne survécurent parmi les titres de fantastique que Strange Tales, World of Fantasy et Journey Into Mystery, et encore de façon extrêmement sporadique. Fin avril 1957, Stan Lee avait déjà reçu de Martin Goodman l'ordre de refuser les travaux de tous les artistes et scénaristes qui travaillaient en free-lance pour Atlas, et qui constituaient alors le plus gros contingent de toute l’industrie2. Goodman est contraint de passer un contrat avec son rival, Jack Liebowitz de DC, pour que celui-ci prenne en charge la diffusion des comics Atlas via Independent News Company, la messagerie appartenant à DC, qui diffusait quelques autres petits éditeurs. Soucieux de ne pas laisser Atlas inonder de nouveau le marché, qui a encore du mal à se remettre du Code, Liebowitz impose à Goodman un maximum de huit titres par mois (que Goodman répartit en seize titres bimestriels), limitant du même coup la concurrence.
Courant 1958, le surplus d’histoires dessinées avant l’implosion, qui ont permis d’alimenter les titres Atlas depuis fin 1957, commence à s’épuiser.3 Stan Lee recrute à nouveau les talents de quelques artistes, notamment Jack Kirby4, Steve Ditko5, Don Heck, Joe Sinnott, Jack Davis, John Buscema ou Russ Heath. Par ailleurs, le regain d’intérêt pour le fantastique conduit Atlas à supprimer certains titres de guerre ou d’humour pour ressusciter progressivement World of Fantasy, Strange Tales et Journey Into Mystery. Certains de ces numéros sont encore constitués d’histoires en surplus, et le véritable tournant se fait avec le lancement de Strange Worlds puis de Tales to Astonish et Tales of Suspense. De tous ces titres, quatre finiront de s’établir définitivement en 1959 et abriteront plus tard les prototypes et premières aventures de nombreux super-héros du Marvel Age : Tales of Suspense, Tales to Astonish, Journey into Mystery, et Strange Tales. Un cinquième titre, Amazing Adventures, vient s’ajouter en juin 1961, rebaptisé Amazing Adult Fantasy (et désormais dédié entièrement à des histoires de Steve Ditko) à partir de son septième numéro, puis simplement Amazing Fantasy pour son quinzième et dernier numéro, sans doute le plus célèbre comic book du Silver Age car il abrite en ses pages l'origine de Spider-Man. De 1958 à 1963, Steve Ditko livrera de façon constante environ 250 histoires de fantastique pour Atlas, en plus de quelques couvertures et de quelques encrages sur des crayonnés de Jack Kirby.
Ditko participe à ce renouveau du fantastique dès Strange Worlds n°1 de décembre 1958. Ses premiers travaux sont extrêmement détaillés, à l’image de ses histoires pour Charlton en 1954 ou pour Atlas en 1956, mais il redouble d’audace et d’inventivité dans la mise en page, qu’il maîtrise à présent parfaitement. Il a eu le temps de raffiner son style chez Charlton les deux années précédentes, et son enthousiasme renouvelé se fait sentir dans le soin particulier qu'il apporte à ses histoires. Par ailleurs, le flair de Stan Lee pour tirer le meilleur de ses dessinateurs l’amène à confier à Ditko des scénarios qui ressemblent parfois à des fables métaphysiques, des paraboles allégoriques ou des contes philosophiques et se concluent par une question adressée au lecteur. Là où Kirby, par exemple, excelle à mettre en scène une humanité réduite à l’état de fourmis, terrorisée par des hordes d’extra-terrestres ou des créatures monstrueuses aux noms aussi extravagants qu’improbables, Ditko est l’artiste du questionnement intérieur, du personnage solitaire, voûté et l’air hébété, qui ne sait plus très bien où il en est ni ce qu’il doit penser, titubant au seuil de la folie ou de la paranoïa. Les histoires dessinées par Kirby finissent généralement bien ; celles de Ditko se concluent souvent sur un mauvais coup du sort, une cruelle ironie du destin6. Ditko est sans doute le seul artiste auquel Stan Lee pouvait confier une histoire telle que « Dream World » (V-380, Tales to Astonish n°26), qui ne montre au fil de ses cinq pages qu’un homme en pyjama dans son lit, le tout accompagné d’une réflexion adressée en voix off à la fois au personnage et au lecteur. Et qui d’autre que Ditko peut, sans lasser le lecteur, mettre en scène pendant quatre pages la fuite éperdue d’un personnage hagard perdu dans le brouillard, comme dans « I Am the Victim of the Sorcerer » (V-31, Tales to Astonish n°16) ? Beaucoup d’histoires écrites par Stan Lee pour Steve Ditko sont baignées d’une atmosphère de superstition, de magie ou de sorcellerie, souvent dans un décor d’Europe de l’est et parfois avec une vue sur d’autres dimensions dont lui seul a le secret. D’autres comportent des passages entièrement silencieux, comme « It Happened on the Silent Screen » (V-193, Tales to Astonish n°21), et d’autres s’amusent fréquemment à traverser le « quatrième mur » fictif, celui qui sépare d’ordinaire le lecteur du personnage. D’autres encore illustrent le combat du personnage contre une force physique ou métaphysique, tels que le Temps ou la Mort. Et même lorsque les histoires de Ditko mettent en scène des extra-terrestres, soit le conflit n’a pas lieu car leur menace s’avère inexistante, souvent par un effet de mise en relativité ; soit ils sont bienveillants et l’humanité est punie de sa méfiance ; soit encore ils viennent libérer une communauté asservie par une autre. Par opposition, les extra-terrestres de Kirby sont une réelle menace dont il faut venir à bout par la ruse ou par un effort collectif. On fait souvent référence à la série télévisée The Twilight Zone (La Quatrième dimension) de Rod Serling pour situer l’ambiance des histoires de Stan Lee et Steve Ditko, et la comparaison est on ne peut plus judicieuse.
Voici les notes de bas de page relatives à l'extrait :
Tristan Lapoussière a écrit :
1 Il s’agissait d’Atlas News, fondée en 1951 par Martin Goodman pour se passer des services de Kable News.
2 L’impact fut tel que de nombreux artistes furent contraints d’abandonner les comic books pour se reconvertir dans d’autres voies.
3 Dans son introduction au volume 1 de la réédition de Tales of Suspense dans la collection Marvel Masterworks (Marvel, 2006), Michael Vassallo situe les histoires codées en M comme étant les dernières commandées avant l’implosion, celles en O se trouvant alors à diverses phases de la production. À la reprise des activités d’Atlas fin 1957, l’éditeur utilise les histoires inédites en M et en O, puis passe de nouvelles commandes, les histoires codées en P, puis S et T (les lettres Q et R furent omises pour éviter d’éventuelles confusions avec celles en O et P ou B).
4 En 1954, Joe Simon et Jack Kirby avaient créé leur propre maison d’édition, Mainline Comics, mais celle-ci dut cesser son activité avec la faillite de leur diffuseur Leader News, qui était aussi celui de E.C. Comics. Les deux associés durent ainsi mettre fin à une collaboration vieille de vingt ans, Simon partant travailler chez Harvey et Kirby chez DC. Après un procès qui l’opposa au rédacteur de DC Jack Schiff concernant le partage des revenus du strip Sky Masters créé avec le scénariste Dave Wood, Kirby était devenu persona non grata chez DC et n’avait plus, essentiellement, que Marvel vers lequel se tourner. Par ailleurs, le 7 juin 1958, Joe Maneely, l’artiste le plus prolifique et le plus talentueux d’Atlas, qui assurait la majorité des couvertures ainsi que de nombreuses histoires de western, décéda dans un accident de train tandis qu’il faisait la navette. Le retour de Jack Kirby chez Atlas survint quasiment la même semaine. Ce fait a pu être daté grâce aux livres de comptes de Dick Ayers, qui livra à Stan Lee les histoires T-71 et T-72 pour Wyatt Earp n°20 (daté décembre 1958) le 9 juin 1958, deux jours après le décès de Maneely, et la première histoire de Kirby fut la T-76 pour Strange Worlds n°1.
5 En dehors d’une histoire de guerre codée O-365 (« The Hidden Doom » dans Battle n°63), la première histoire de Ditko est la T-81, ce qui permet de situer son retour chez Atlas au mois de juin 1958.
6 Dans Amazing Fantasy n°15, la même ironie du sort fait que Spider-Man, qui ne se sert de ses pouvoirs que pour gagner de l’argent sur les plateaux de télévision, n’arrête pas le voleur qui tuera plus tard son oncle Ben. Spider-Man est le premier super-héros dont la vie, une fois ses super-pouvoirs acquis, change pour le pire, et non pour le meilleur.