Mother !
Posté : ven. 15 sept. 2017, 21:08
Véritable trip hallucinogène dans le plus pur style de son auteur, "Mother !" raconte les tourments et la lente dérive cauchemardesque d'une femme fragile (Jennifer Lawrence, épatante) dans un univers où tout semble progressivement lui échapper. Javier Bardem (majestueux d'ambiguïté) assure le rôle du mari écrivain à cours d'inspiration et qui tente de retrouver son aura créatrice dans un environnement dépourvu de tout repère (on pense tout de suite à Shining), absence de repère qui s'étendra d'ailleurs jusqu'aux patronymes inexistants des personnages.
Le hiatus commence dés l'arrivée inopportune d'un curieux visiteur...
Difficile de trop entrer dans les détails de cette relecture de "Rosemary's baby" sans risquer de déflorer une partie du mystère, car "Mother!" fait partie de ces oeuvres dont il convient de connaître le moins possible de choses pour en apprécier pleinement la richesse, les subtilités et la symbolique... encore que le réalisateur de "Black Swan" amène suffisamment de zones d'ombres et de niveaux de lecture à son histoire pour que chacun puisse y aller de sa propre interprétation. Et c'est bien là une des grandes forces de "Mother!" : ne pas carresser le public dans le sens du poil (au risque toutefois de s'en aliéner une partie), afin de lui offrir une oeuvre qui questionne et poursuit bien après sa vision.
Mais, tout allégorique soit-il, "Mother!" n'en oublie pas pour autant de rester un film d'un crescendo et d'une logique implacables, où se côtoient les obsessions et thématiques de son auteur, déjà entrevues dans ses précédentes oeuvres (création/procréation, syndrome de la page blanche, emprise de la nature sur l'environnement humain, rapport au couple, incommunicabilité, religion, obscurantisme, dépendance, soumission, place de la femme dans un univers trop hostile pour elle...), transcendé par une réalisation maligne et fort à propos (emploi du 16mm et caméra vascillante). Il distille aussi par petites touches et quelques idées formidables (aucun des personnages n'a de nom) ce sentiment de malaise qui entraîne le spectateur en même temps que son héroïne dans un kaleidoscope mental sans fin.
Les thématiques précitées se trouve associées à ce plaisir immédiat de découverte d'images chocs et d'une réalisation viscérale sans égal, elle-même amplifiée par le parti-pris d'un point de vue unique (celui de l'héroïne). Ainsi, nous ne saurons pas plus qu'elle ce qu'il se trame dans la mesure où les aventures auxquelles elle/nous assiste(ons) relèvent quasi-exclusivement de son propre champs de vision/de son mental, et que tout ce qui y est extérieur (ou presque) nous est inconnu. Cela n'en est que plus immersif et renforce la tension et l'empathie que l'on ressent à son égard.. empathie qui ne serait complète sans le jeu particulièrement inspiré de Jennifer Lawrence, qui prend soin d'apporter à son personnage, dépassé et incapable de réagir aux évènements, toute la complexité nécessaire.
Le malaise né d'un postulat de départ des plus banals qui soit (et qui pourrait donc arriver à n'importe qui) avant de dégénérer et de prendre des directions auxquelles nous n'étions pas forcément préparés. Le malaise né aussi de l'incessante répétition des évènements (comme un cauchemar qui tourne en boucle), de faux-raccords voulus, et d'une épure marquée (environnement dépouillé retiré de toute civilisation, absence de musique, d'identité des personnages, d'humour - à l'exception d'un humour à froid disséminé de ci-de là et servant à révéler l'absurde des situations...)... Des petites touches qui rappellent -outre le cinéma de Polanski- celui de Lynch ou le "Neon demon" de Nicolas Winding Refn.
Les références sont d'ailleurs nombreuses (y compris celles puisées dans le cinéma-même de son auteur), mais assez finement amenées pour que cela ne phagocyte en rien le récit ni l'originalité du projet, au contraire d'un Black Swan ou ces emprunts se révélaient plus lourdement appuyés et gratuits.
Plus accessible que "The fountain", plus extrême que "Black Swan", Aranofsky nous livre-là son meilleur film, en tant cas son plus extrême et dérangeant, étrange conte où la folie ordinaire côtoie le sordide.
Les spectateurs à l'esprit trop rationnels n'y trouveront certainement pas leur compte, mais les amateurs de bizarre et de sensations inédites ne bouderont pas leur plaisir.
Une petite perle du genre.