Bonjour,
Je profite de la sortie du numéro 8 d'Esprit du vent pour vous présenter cet article écrit il y a un an pour la revue PIMPF (en sommeil ?). Pour ceux qui ne lisent pas la série originale, il peut aider à bonne compréhension de la révélation finale.
ESPRIT DU VENT
Juillet 1997, les lecteurs italiens découvrent, au milieu de leurs fumetti habituels, un nouveau visage accueilli comme il se doit par d'autres plus anciens tel Zagor, Tex, Mister No et consorts. Ce visage émacié, presque triste, c'est celui de Magico Vento.
Juin 2007, soit dix ans plus tard, c'est au tour des lecteurs français de découvrir ce personnage énigmatique, sous le nom d'Esprit du Vent. Cette belle initiative nous la devons à Michel Jans, responsable des Editions Mosquito, désireux de privilégier un dessinateur italien en la personne de Pasquale Frisenda, suivant ainsi la politique éditoriale de sa maison d'édition. Toutefois, si le choix du dessinateur est remarquable, le fait de ne publier (pour l'instant) que les albums de Frisenda, un dessinateur parmi la vingtaine que compte Magico Vento/Esprit du Vent, nuit à la bonne compréhension d'ensemble de cette série tant la continuité narrative y est forte. Mais ne boudons pas notre plaisir.
"Mitakuye oyasin! Nous sommes tous frères" Ce salut Lakota est devenu l'expression symbole de la série. Manfredi, son créateur, a choisi cette tribu indienne (1) pour être au cœur de son western un peu atypique mais ô combien passionnant. L'histoire se situe en Amérique peu après la fin de la guerre de Sécession (1861-1865) dans les grandes plaines du Nord (2) parcourues par les troupeaux de bisons. Cheval Boiteux, le vieux chaman de la tribu de Corne de Taureau, est inquiet pour sa succession. Aucun jeune de la tribu n'a les qualités requises pour être un waayatan (3). Il se retire seul sans nourriture dans l'attente d'une vison. Quelques jours plus tard, au pied d'un arbre sacré, il entend un murmure venant des feuilles : "Cherche celui qui a été oublié. Le vent te dira comment le rejoindre". Une tempête se lève et un fort vent le pousse jusque sur les lieux d'une catastrophe ferroviaire. Parmi les ruines encore fumantes, il découvre un corps agonisant, l'unique survivant de ce désastre. Pas de doute, pour Cheval Boiteux, c'est le Grand Esprit qui lui envoie un élève. Mais de retour au camp, il se heurte à l'opposition de Corne de Taureau qui n'admet pas qu'un wasicun (4) puisse devenir chaman de sa tribu. "Ce n'est plus un homme blanc, son peuple l'a abandonné, son nouveau nom est Esprit du Vent" lui répond Cheval Boiteux. A son réveil l'homme blessé ne se souvient plus de rien, l'accident de train l'a rendu amnésique. Pendant trois ans, Esprit du Vent fera son apprentissage de chaman au sein de sa tribu adoptive et va devenir également un redoutable guerrier au service de ses frères indiens. "Un homme Étrange" selon les Sioux. Mais pour les blancs il devient un renégat très gênant.
Le postulat de départ est posé : l'affrontement entre deux sociétés. Le peuple indien, luttant pour sa survie, contre des colons blancs, avides de nouvelles terres. La voie ferrée transcontinentale vient d'être inaugurée. La conquête de l'Ouest va s'accélérer. Des villes vont sortir de terre et tout le long du rail la valeur des terres va grimper en flèche. Des hommes d'affaires, des spéculateurs, des banquiers véreux seront sans scrupules pour arracher ces terres aux tribus indiennes. Le combat est inégal. Cela pourrait être un western classique mais Manfredi en s'engageant résolument pour la défense de la cause indienne, va aborder et developper, mais d'une façon très particulière, des thèmes jusque là peu explorés : la vie quotidienne des indiens, leur vie sociale (5), leurs coutumes, leurs rites ancestraux, leur mythologie, auxquels il ajoute une bonne dose d'horreur (6), de fantastique et de surnaturel. Le résultat, grâce à une documentation très poussée, est parfaitement réussi et fait d'Esprit du Vent un western singulier et peu conventionnel qui devrait conquérir les allergiques et réfractaires au genre.
En Italie La série originale, Magico Vento, a dépassé les 125 numéros et continue à être publiée (7). Elle est structurée autour de deux thèmes centraux : l'identité du personnage et son combat permanent contre Hogan, le mal personnifié. Parallèlement à ces deux axes sont développées des histoires indiennes indépendantes dédiées à des légendes (Windigo, la Bête) et à des sagas historiques (8) comme la conquête des Black Hills, reparties sur plusieurs numéros. Entre tous ces thèmes Il y a une très forte continuité de lieux, d'événements et de personnages. Cependant le cahier des charges chez Bonelli impose que les numéros puissent être lu indépendamment les uns des autres, ceci pour ne pas désorienter les nouveaux lecteurs. Mais comme bien souvent chez cet éditeur, des révélations importantes sont éparpillées tout au long de la série pour donner également aux nouveaux lecteurs l'envie de posséder tous les numéros. Politique éditoriale commerciale peut être mais elle permet surtout aux auteurs de développer des intrigues longues, denses et jamais banales dans un univers riche et cohérent.
En France, les Éditions Mosquito ont choisi, pour l'instant, de ne publier que les épisodes dessinés par Frisenda. Alors pour les lecteurs français qui doivent prendre la série en cours (et dans le désordre) voici quelques explications :
Ned Ellis (vrai nom d'Esprit du Vent) est le fils du lieutenant Roderick Ellis, brillant militaire, et Nelly Rushmore. Vers l'âge de 12 ans, il perd son père victime d'un lâche attentat fomenté par Howard Hogan, l'amant de sa mère. La douleur et le désir de vengeance entrainent Ned dans la voie dangereuse des armes. Il devient Shado, un redoutable chasseur de primes puis loue ses services au shérif Coleman, l'implacable et inhumaine "main gauche du diable". Mais la tragédie parentale le hante toujours et pour honorer la mémoire de son père, Ned s'engage dans les troupes de l'Union. A la fin de la guerre de Sécession il est en poste au Fort Graham. Avec le retrait des troupes le fort est abandonné. Les armes et les munitions sont chargées sur un train pour être transférées dans une autre garnison. Peu après le départ du fort, le wagon où se trouve Ned et l'escorte chargée de surveiller le convoi explose. L'attentat est un complot politico-militaire, commandité par Hogan pour s"emparer des armes et munitions. C'est un massacre. Ned sera le seul survivant. Il est sauvé par un vieux chaman indien Cheval Boiteux et renait (9) sous le nom d'Esprit du Vent. Mais un éclat de métal dans sa tête l'a rendu amnésique. Toutefois cette blessure est aussi à l'origine de son extraordinaire don de vision. Après cette tragédie le fort Graham sera baptisé fort Ghost. Esprit du Vent va devenir le chaman des Lakota. Mais il sera bien plus qu'un simple sorcier et homme médecine. Ensuite, au fur et à mesure de ses visions inquiétantes, et aidé par un journaliste du Chicago Tribune Willy Richards, dit Poe (10), va s'engager une longue confrontation avec son ennemi personnel, responsable de tout son malheur, Howard Hogan, l'homme le plus puissant de Chicago. Et si Hogan, qui a été l'amant de sa mère, était en réalité le père de Ned Ellis ? (11)
Notes :
(1) "Les Lakota" (signifiant frères, alliés, amis) furent surnommés Sioux (c'est-à-dire serpents, soit exactement le contraire) par les Chippewa, une tribu ennemie voisine.
(2) Dakota, Montana et Nebraska.
(3) sorcier possédant le don de vision.
(4) homme blanc.
(5) Manfredi aborde des thèmes comme la dominance, l'asservissement, l'adultère, la polygamie, l'homosexualité chez les indiens.
(6) thème assez peu utilisé dans le western.
(7) mais Manfredi a choisi d'arrêter cette série en 2010.
(8) le réalisme historique est une grande qualité de cette série.
(9) "habile" stratagème de Manfredi pour montrer qu'Esprit du Vent est plus qu'un énième blanc à prendre fait et cause pour les indiens. De plus Manfredi n'a pas choisi pour héros un indien à cause de son extrême respect pour leur culture. N'étant pas lui-même d'origine indienne, il ne pouvait revendiquer leur point de vue.
(10) à cause de sa ressemblance physique avec l'écrivain, son amour de la poésie... et de l'alcool. Hommage de Manfredi à E.A. Poe dont le style narratif "gothique" l'a beaucoup inspiré.
(11) A ce jour, à quelques numéros de la fin, le secret est encore bien gardé...
Bibliographie
Albums Magico Vento 1 à 120, Sergio Bonelli Editore
Albums Esprit du Vent 1 à 8, Mosquito Editions
"Magico Vento, l'ultimo western Bonelli tra novità et tradizione" Gisello Puddu, Editoriale Mercury S.R.L. 2008
Site SBE :
http://www.sergiobonellieditore.it/index.html
Site de Vittorio Sossi (excellent) :
http://www.fumettando.it/magico_vento/index.html