Benjamin - Un insigne en 1931

- Extrait du n°134 du 02/06/32
50 000 insignes déjà vendus à peine onze mois après son lancement si on en croit ce rédactionnel.
L'importance du tirage explique probablement pourquoi cette épinglette est - malgré son ancienneté - très facile à chiner. Sa longue existence également. Commercialisé pour la première fois au cœur de l'été 1931, l'insigne est toujours en vente en 1940. La maquette originale est due à un jeune lecteur nommé Jacques Lallemant suite à un concours lancé dès mai 1930. Il existe des variantes au niveau de l'insigne qui témoignent de l'existence de tirages successifs liés à cette longévité. Des variations de la forme de la main et du cœur à mettre en relation avec le nom du fabricant inscrit au verso. La réalisation des premiers insignes en 1931 sera confiée à la Maison Arthus-Bertrand. En mai 1932, c'est l'entreprise d'Adrien Chobillon qui est en charge de sa fabrication. Chobillon qui offrira aussi une breloque en février 1934 aux participants du championnat de Ping-Pong du journal Benjamin. Le fabricant parisien Festa sera également sollicité pour l'insigne. Pour distinguer ces différents tirages, le plus simple est de vérifier au revers le marquage circulaire présent sur le boléro de l'épingle à bascule.

- Insigne avec marquage Arthus-Bertrand Paris et poinçon joaillier

- Insigne avec marquage Chobillon Palais Royal

- Insigne avec marquage Festa Paris
L'insigne apparaît dans le point du I du titre Benjamin à partir du 4 mars 1937 et restera bien en évidence à cette place jusqu'au 20 mai 1943. Jaboune/Jean Nohain, rédacteur en chef de l'hebdomadaire de 1929 à 1939, avait par ailleurs un grand sens de la communication et on peut donc retrouver l'insigne emblématique de son journal sur de nombreux supports : papier à lettres, cartes de visite, plaques de vélos, gâteaux, pull-overs etc.
Fin janvier 1930, presque 1 an et demi avant le lancement de cet insigne et pas loin de 4 ans avant celui des clubs de Benjamin, l'hebdomadaire proposait déjà à ses lecteurs une carte avec nom, adresse et photographie. Elle avait une double vocation : fournir un papier d'identité à l'instar des adultes pour qui la carte d'identité était encore d'un usage balbutiant ; obtenir des réductions dans des magasins dont la liste était publiée dans un carnet spécifique des commerçants amis de Benjamin. Voici celle de 1933 :



À l'occasion du premier gala de la Jeunesse organisé par le journal le 28 avril 1932 sous le patronage du Président Paul Doumer, Jean Nohain écrivit les paroles d'une marche des Benjamins dont la musique fut composée par le chef d'orchestre André Cadou qui accompagnait la plupart des enregistrements des grands interprètes de l'époque sur les disques Odéon. Ces paroles donnent à voir une vision idéalisée du lecteur de Benjamin : un enfant sain, sage, joyeux, bienveillant et respectueux des usages mais aussi un adulte en devenir porteur de valeurs morales traditionnelles. Deux ans plus tard, en 1934, l'amuseur public numéro un de l'entre-deux-guerres en France, le chansonnier Georgius, celui qui écrivit les paroles et chanta
La plus bath des javas ou encore le fameux
Au Lycee Papillon, enregistra cette marche des Benjamins sous le label Ultraphone U. Il est possible d'écouter son interprétation sur Youtube en cliquant
ici. L'insigne de reconnaissance et son slogan figurent de façon ostensible tant sur la partition que sur le disque.

- Extrait de l'édition format-poche
Jean-Marie Legrand dit Jean Nohain ou encore Jaboune est rédacteur de la page enfantine du dimanche dans L’Echo de Paris quand il ambitionne de réaliser un journal pour la jeunesse qui ne soit pas comme les autres. Un journal divertissant mais qui ferait aussi appel à l’intelligence des enfants en parlant d’actualités, de culture et de sciences et serait similaire dans sa forme à celui des grandes personnes. Son idée novatrice suscite la crédulité de ceux dont la vision de la presse enfantine se résume à la seule dimension récréative. Le maître-imprimeur Georges Lang apporte les fonds nécessaires pour éditer Benjamin dont le premier numéro sort le 14 novembre 1929. C’est Jaboune qui en tiendra les rênes jusqu’en décembre 1939. Le lecteur-cible de Benjamin est un enfant de la bourgeoisie éclairée, en particulier parisienne, de 7 à 15 ans.
Pour animer son journal, le rédacteur en chef Jaboune s’entoure d’une équipe régulière, lettrée et imaginative. Sa femme Jeanne alias Tante Sophie s’occupe de la page des benjamines qui finiront par obtenir un supplément dédié de 8 pages en décembre 1934. Son frère, Claude Dauphin, incarne un soit disant garçon de bureau nommé Babylas. Henri Kubnick, futur créateur du Jeu des 1000 francs, rédige les articles scientifiques et de nombreux autres billets sous différents pseudonymes. Un même rédacteur, issu du mouvement des Éclaireurs Unionistes, signe la rubrique scoute du nom d’André Reval mais sera commissaire-général des clubs de Benjamin sous celui d’André Rolland. Jacques Christiand dit Chapoulet encourage à la poésie et propose des comédies à jouer. Les journalistes Violette-Jean et Paluel-Marmont sont aussi des chroniqueurs attitrés. Joseph-Porphyre Pinchon, dessinateur vedette et directeur artistique de Benjamin, assure l’essentiel des séries illustrées avec encore le texte sous les images. À ses côtés, André Caza et Jérôme Erik livrent surtout des cabochons, des dessins humoristiques et quelques strips. Notons aussi la présence de Jean Bellus, Jacques Touchet et Alain Saint-Ogan puis plus tardivement celle de Claude Verrier et Serge Trucy.
À ses débuts, Benjamin propose en parallèle une édition bleue spécifique destinée aux paroisses et établissements scolaires catholiques. Elle n’est disponible que sur abonnement, reçoit le concours de Jacques Péricard et l’agrément de l’abbé Bethléem. L’édition bleue ne rencontre pas le succès escompté et disparaît avant l’été 1930.
Benjamin va revendiquer un tirage exorbitant de 475000 exemplaires pour son premier numéro, 30000 abonnés pour un tirage de 175000 numéros en mars 1930, 45000 abonnés en août 1933 et 200000 lecteurs dont 50000 abonnés en décembre 1934. Jaboune à une conception dynamique du journal qui dépasse le seul cadre du support papier : émissions de T.S.F. au Poste de la Tour Eiffel puis au Poste Parisien, enregistrements de disques, poupée-maison Marinette sponsorisée par la culotte Petit Bateau, excursions en autocars et même croisières pour les lecteurs, tournées estivales du journal sur les plages, clubs lancés en janvier 1934 qui rassemblent les benjamins et benjamines d’un même secteur, Gala annuel en présence d’académiciens ou de savants, grands rassemblements festifs au Jardin d'Acclimatation . En 1933, le désengagement de Georges Lang (qui continuera d’imprimer Benjamin jusqu’en août 1939) amorce pourtant une valse d’incertitudes qui verra se succéder les locataires-gérants ou propriétaires de la publication. Le 30 novembre 1933, l’éditeur et publiciste Robert Lajeunesse rachète Benjamin. Le titre rejoint les nombreuses publications spécialisées qu’il dirige depuis le 14 de la rue Brunel (La Revue des agents, La métallurgie transformatrice, L’Industrie française radioélectrique, L’Officiel de la publicité, etc.). En 1938, un cousin de Jaboune nommé Raoul Pérard ramène de l’indépendance et de la stabilité en devenant associé majoritaire puis propriétaire exclusif de Benjamin.
L’entrée en guerre de la France sera fatale à la première formule de Benjamin qui s’arrête au n°512 du 31 août 1939. Jaboune, Kubnick, Chapoulet, Paluel-Marmont, Bellus, Erik et Caza sont mobilisés. Le 14 septembre 1939 sort une série dite de guerre réduite à 4 pages avec une nouvelle numérotation qui dure le temps de 16 numéros jusqu’à la fin de l’année, moment où Raoul Pérard décide à son tour de se retirer du journal. Benjamin est alors racheté par l’éditeur Paul Leclerq dont l’intention est de le fusionner avec une autre de ses publications en perte de vitesse. Le 14 janvier 1940 apparaît donc Benjamin-Le Journal des Jeunes de France sur 16 pages en héliogravure qui va durer 20 numéros jusqu’au 1er juin 1940. Le rédacteur en chef de JEF, Jean-François Nicole, se substitue à Jaboune. Devant la menace imminente de l’invasion allemande, le journal se replie à Clermont-Ferrand. Un numéro provisoire paraît en juillet 1940 sous le seul titre de Benjamin. Cette quatrième formule, à la pagination restreinte en raison des restrictions, redevient hebdomadaire à partir du n°2 du 22 août 1940.
Jaboune a pris ses distances avec un journal qui ne correspond plus à ses attentes même si son nom est encore mentionné. Démobilisé, il rejoint la zone libre, organise des tournées théâtrales et participe à des actions de soutien à la Résistance. La ligne de démarcation tombe le 11 novembre 1942, recherché par la Gestapo, il embarque pour l’Angleterre le 17 du mois, s’engage dans les Forces Françaises Libres et combattra héroïquement dans les chars de la 2e D.B. du Général Leclerc. Pendant ce temps là, Alain Saint-Ogan, démobilisé de la Défense passive, s’est installé à Clermont-Ferrand et prend de l’ascendant dans un Benjamin largement alimenté par ses productions. Il en devient rédacteur en chef et ouvre davantage le journal à la forme moderne de la BD à bulles. Saint-Ogan répond par ailleurs à des commandes institutionnelles de l’État français pour des affiches et des tracts à destination de la jeunesse. Les rédacteurs Jean-François Nicole et André Reval exaltent dans le journal l'idéologie officielle du régime de Vichy. Benjamin bénéficiera en retour de la bienveillance et de faveurs concrètes de la part du gouvernement du Maréchal Pétain : aide financière directe, achat d’une partie du tirage d’un numéro spécial sur les Colonies, commande d’abonnements pour les écoles rurales. Benjamin devenu bimensuel en 1944 cesse une nouvelle fois de paraître au n° 190 de la 4e série qui sort 12 jours avant la libération de la ville. Aucun membre de la rédaction ne sera inquiété : l’adresse aurait servi de boîte aux lettres dormante pour le réseau de résistance intérieure Yatagan dont Saint-Ogan sera réputé membre sous l’alias de Lesage.
Benjamin sera relancé une cinquième fois en 1952 à l’initiative d’un ancien lecteur des années 30.